Madame la professeure de mathématique

Publié le par Ecrit Libre Arcy-sur-Cure

Atelier du 16 mai 2013

En classe de terminale j’avais choisi l’option scientifique et mathématique, à l’époque on disait math-elem ; Madame Cambell, notre professeure de maths habitait le même immeuble parisien que moi, à dix minutes à pied du lycée Gabriel Fauré. Je la connaissais bien, c’était une brave personne, à l’époque âgée d’une petite cinquantaine, qui avait eu de nombreux malheurs dans sa vie ; elle venait de perdre son mari des suites « d’une longue maladie » et avait du mal à s’en remettre ; elle était très émaciée et toujours vêtue de noir.

Au tableau, Madame Cambell n’était pas avare dans l’usage de la craie ; quand elle faisait une démonstration de géométrie ou d’algèbre, le tableau noir était vite recouvert de traits courbes et équations de toutes les couleurs, et le tailleur noir aussi ! Blanches, bleues, jaunes, vertes ou rouges, toutes les craies étaient utilisées ; les couleurs, tenaces, maculant copieusement les mains ; comme Madame Cambell les plaçait régulièrement sur ses hanches, il est inutile que je décrive le résultat mais cela faisait bien rire les grands ados que nous étions.

Madame Cambell était très brune, une mèche rebelle s’obstinait à lui descendre sur le front et lui cachait un œil ; elle n’avait de cesse, d’un geste machinal, de la relever, si bien que ses cheveux devenaient de plus en plus colorés ainsi que son visage, surtout la partie droite balayée par la mèche ; quelques fois, à la fin du cours, ce n’était plus Madame Cambell qui officiait sur l’estrade, mais Achille Zavatta !!

Et puis, il y avait les « mathématiques modernes », la « théorie des ensembles » qui venaient d’être mises au programme ; cette pauvre Madame Cambell était d’une autre époque et peinait beaucoup à nous enseigner ces concepts novateurs. Elle multipliait les démonstrations, souvent butait sur une notion qu’elle saisissait avec difficulté et de fait qu’elle n’arrivait pas à nous transmettre ; cela la mettait en colère, contre elle-même d’abord, contre les élèves qui n’y comprenaient rien ensuite. Dans ces moments-là, sous l’effet de l’énervement, elle usait encore plus des craies multicolores ; un vrai festival, l’atelier de peinture d’un fauve ou encore une représentation théâtrale dans la veine de la Commedia Del Arte ! Quel feu d’artifice !

Les épreuves du bac se profilant à l’horizon, nous avons déserté le lycée et dit au revoir à Madame Cambell, et peut-être à l’année prochaine pour ceux qui n’auront pas réussi à l’examen. Ce fut mon cas ; j’ai bénéficié d’une deuxième séance… Toujours avec le même plaisir.

Marc Bachelard.

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